18 Août 2011, Paris art.com
Dominique De Beir, 20 août 2011
Perforer, frapper, griffer, éplucher, brûler, retourner, tels sont les gestes que Dominique De Beir expérimente pour meurtrir ses supports et leur donner de l'épaisseur. En jouant de la lumière, elle produit des effets délicats qui donnent à ses oeuvres des allures de constellations.
Elisa Fedeli
Vous exposez actuellement au Louvre une oeuvre monumentale et in situ.
Dominique De Beir
Lorsque les deux commissaires d'exposition m'ont passé commande d'une oeuvre in situ, j'ai aussitôt pensé qu'intervenir dans la salle d'exposition elle-même était superflu, vus le nombre de dessins présentés et leur contexte extrêmement intime. J'ai donc pris le parti d'intervenir dès l'entrée pour prolonger l'exposition à l'extérieur.
A l'entrée, le regard est capté par les immenses fenêtres donnant sur la Cour Carrée. Je voulais opérer une coupe du réel, un passage d'un champ très net à une vue brouillée, en obstruant une des fenêtres par un papier blanc ajouré qui arrive ici comme une sorte de filtre transitoire.
Le titre, Le blanc, c'est la nuit, est extrait du texte que Dominique Cordellier, un des commissaires de l'exposition, a écrit dans le catalogue sur mon intervention. Je l'ai choisi pour nommer cette pièce car cette idée que les piqûres dans le papier donnent à voir l'envers et constellent le recto me semble essentielle.
Elisa Fedeli
Qu'est-ce qui a motivé le choix du papier?
Dominique De Beir
J'ai longuement hésité quant au choix du papier. Le Montval s'est avéré comme le plus approprié car il a une certaine densité. J'aime son poids, qui me fait un peu penser à la chute d'un rideau. Après différents essais, je me suis aperçue qu'en le piquant, on obtient une trouée assez nette. Je me suis servie ici d'un stylet à pointe triangulaire qui rappelle l'écriture cunéiforme.
La présentation en trois lés met en avant la question du pli. On a le sentiment que la perforation se glisse à l'intérieur du pli, jusqu'à disparaître. Le dessin acquiert ainsi une sorte de troisième dimension, une spatialisation du plan.
Enfin, des taches de paraffine blanche posées de manière aléatoire amènent une transparence et tentent d'affirmer à nouveau que la surface peut être éprouvée comme une profondeur.
Elisa Fedeli
Tout votre travail s'articule autour d'un même geste: la perforation. Que?
Dominique De Beir
Chacune des mes actions est inextricablement liée au support. Si l'acte de perforer reste un trait distinctif de mon travail, d'autres actions sont venues aujourd'hui s'y associer: frapper, frotter, griffer, éplucher, brûler, retourner, etc… Avec ces attaques sur et dans le matériau, je cherche à quitter la surface, à l'éclater, pour tenter de débusquer son épaisseur.
Les différents supports que j'utilise — papiers de toutes sortes, carton, polystyrène — portent l'empreinte d'un geste de pression, de contact, qui parfois peut entraîner un dessin extrêmement fin ou au contraire une trouée ingrate mais le résultat reste toujours mécanique et archaïque.
Lorsque j'ai commencé à travailler dans cette direction, je me suis rendue compte que chaque type de support engageait un outil spécifique, comme si chacun réclamait un type d'impact précis. C'est pourquoi je me suis mise à fabriquer mes propres outils, en collaboration avec des artisans.
Ces outils me permettent de développer des expériences associant énergie et improvisation, un rapport immédiat au matériau que j'essaie de pousser à son point de rupture.
Pour l'oeuvre actuellement exposée au Louvre, j'ai travaillé au dos de mon support. Je ne pouvais donc pas contrôler le résultat, que je n'ai découvert réellement qu'au moment de l'installation.
Lors de mon exposition à La galerie Particulière, j'ai présenté une série de travaux sur polystyrène peints sur les deux faces et ensuite creusés avec un acide qui engageait là aussi des accidents complètement inattendus.
Pour moi, une oeuvre est ratée si elle est trop dirigée, trop composée. Ou bien lorsqu'elle est trop meurtrie. Je cherche la frontière entre les deux...
Quelle est l'origine de ce geste de perforation?
Dominique De Beir
Au départ, j'avais une pratique de peinture traditionnelle. D'ailleurs, je me revendique toujours peintre, même si mes recherches m'entraînent aussi vers le volume, les installations aussi bien que les dessins. Etudiante aux Beaux-Arts, différentes rencontres — notamment celles de Pierre Buraglio et de Pierrette Bloch — m'ont amené à minimaliser mon geste, à le rendre plus économe.
En 1997, le champ de mon activité a été bouleversé par un évènement de ma vie familiale, qui m'a donné l'opportunité d'apprendre le braille. Là, j'ai commencé par couvrir de perforations des feuilles d'agenda et de comptabilité ...